Le carburant le moins cher, c’est celui que l’on ne consomme pas
Communiqués de presseLa facture énergétique des Français bat des records. Pour alléger les dépenses des automobilistes et faire face à la hausse des prix, le gouvernement envisage de subventionner l’essence et le diesel en rabotant ses taxes.
A y regarder de plus près, la hausse des prix des carburants est une illusion d’optique : s’il faut travailler en moyenne 9,6 minutes aujourd’hui pour acheter une litre de carburant, il fallait 19,6 minutes en 1970 soit plus du double ! (1) Cela étant, la hausse inévitable des prix du brut risque de changer la donne. Or une baisse modeste des taxes ne suffira pour absorber la hausse soutenue et structurelle des prix du brut ! Résultat, l’effet sur le pouvoir d’achat des ménages risque d’être rapidement nul. A court terme, il aurait été plus souhaitable d’aider financièrement les ménages les plus vulnérables, particulièrement tributaires de leur voiture pour se rendre à leur travail.
Par ailleurs, cette mesurette, pratique pour éviter les problèmes de fond, sera inefficace d’un point de vue économique et budgétaire. Et particulièrement néfaste d’un point de vue environnemental car elle va augmenter les émissions de gaz à effet de serre. Elle risque en outre de ne pas atteindre son objectif social. Ce n’est pas quelques centimes sur le litre qui sortira les ménages les plus pauvres des situations de précarité de mobilité dans lesquelles ils se trouvent, et la facture énergétique reste malheureusement indolore pour les plus aisés.
Les quelques centimes offerts par litre de carburant représenteront des centaines de millions d’euros de perte pour l’Etat, principale victime de sa propre manœuvre. Comment l’Etat compte-t-il à la fois assainir son déficit budgétaire et résoudre le problème de la hausse des prix des carburants sur le long terme, comme il l’a laissé entendre ? Forcément en augmentant d’autres impôts et taxes qui pèseront eux aussi sur le pouvoir d’achat.
Ne nous voilons pas la face : la hausse du prix du pétrole est inéluctable. L’extraction d’hydrocarbures non conventionnels en France et à l’étranger, ainsi que les coûteux agrocarburants, ne feraient que reporter de quelques années notre nécessaire sevrage et le litre de carburant sera toujours plus coûteux pour l’automobiliste français. La meilleure façon de protéger ce dernier des effets de cette hausse structurelle consiste à l’orienter vers des modes de transports collectifs et plus doux, et lorsque l’automobile est la seule alternative possible, à alléger sa consommation globale de carburant. C’est possible, notamment en obligeant les constructeurs à produire des voitures moins gourmandes en pétrole. A ce titre, le règlement européen sur les émissions de CO2 des voitures en discussion à Bruxelles peut être le déclencheur le plus efficace d’une indispensable mutation industrielle.
Une première version de ce règlement adoptée en 2009 contraignait les constructeurs européens à atteindre 130 g de CO2 par km à l’échéance de 2015. A l’origine fortement opposés à cette contrainte, les constructeurs sont en train d’atteindre dès 2013 l’objectif qui leur était assigné pour 2015, et ce sans investissements massifs.
La révision de ce règlement devrait contraindre les constructeurs automobiles européens à limiter les émissions de CO2 de leurs voitures à 95g de CO2 / km en 2020, les émissions moyennes se situant autour de 140g en Europe aujourd’hui. L’association européenne de défense des consommateurs (BEUC) soutient ouvertement cet objectif qui permettra à chaque automobiliste français d’économiser près de 350 euros (plus de 20% de son budget essence) à la pompe chaque année d’ici à 2020 (2). Les évolutions technologiques nécessaires pour atteindre cet objectif sont tout à fait réalisables selon plusieurs constructeurs automobiles.
Le gouvernement devrait défendre vigoureusement cette législation bénéfique sur tous les tableaux (réduction des émissions de gaz à effet serre, diminution de la facture énergétique, augmentation du pouvoir d’achat des ménages), pour la rendre plus ambitieuse et appuyer un objectif de 60g CO2 / km d’ici 2025 pour ainsi permettre aux automobilistes de diviser par trois leurs dépenses à la pompe d’ici à 2030 (3). Des économies bien plus intéressantes pour le porte-monnaie des Français comparées aux quelques centimes offerts par le gouvernement aujourd’hui !
En résumé, en lieu et place de quelques cadeaux fiscaux à court terme, le gouvernement serait mieux inspiré d’utiliser ses ressources pour le financement essentiel, immédiat et à long terme, de la transition énergétique dans le secteur des transports, un des secteurs les plus polluants en France aujourd’hui.
Sébastien Blavier, chargé de campagne climat-énergie Greenpeace France
Morgane Creach, Directrice du Réseau Action Climat France
Bruno Genty, Président de France Nature Environnement
Benoit Faraco, porte-parole de la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme
Stéphen Kerckhove, Délégué général de Agir pour l’environnement