TROIS QUESTIONS A... Martine Aubry, candidate aux primaires citoyennes
Huit mois après le début de la catastrophe de Fukushima, Martine Aubry revient sur la position qu'elle a défendue sur la question du nucléaire durant les primaires citoyennes.
Vous avez récemment affirmé que le nucléaire était une énergie du passé. La France doit donc sortir du nucléaire ?
Martine Aubry : La catastrophe nucléaire de Fukushima a provoqué, comme celle de Tchernobyl, un désastre humain, sanitaire et environnemental dont il faudra des années pour mesurer l’ampleur. L’accident nucléaire, en tant que tel, n’est toujours pas maîtrisé, et personne ne sait quand il le sera. Il y a un avant et un après Fukushima. Aujourd’hui, nous devons repenser notre modèle énergétique. Dès le lendemain de ce drame, j’ai organisé la réflexion du Parti socialiste afin qu’en soient tirées les conséquences. J’ai clairement affirmé notre détermination à émanciper la France de sa dépendance au pétrole et au nucléaire. Nous avons proposé un moratoire sur le lancement de toute nouvelle capacité, dans l'attente d'un grand débat public.
En l’état actuel de nos connaissances, le nucléaire doit être considéré comme une énergie de transition et non comme une énergie d’avenir. J’ai fixé le cap de la sortie du nucléaire car je veux voir naître la génération de l’après nucléaire. Ce cap étant fixé, le processus devra être transparent. Chaque étape sera l’objet d’un débat ouvert. Une commission d’experts, intégrant la diversité des points de vue, préparera un livre blanc auquel s’adosseront, dans chaque région, des concertations qui se concluront par une loi d’orientation de la politique énergétique avant l’été 2013.
Si le nucléaire est une énergie du passé, quelle est votre vision de l'avenir énergétique ?
Martine Aubry : L’urgence de la mise à jour de notre modèle énergétique est aussi celle de la lutte contre le changement climatique et de la raréfaction inéluctable des énergies fossiles, dont nous restons trop dépendants. Au lieu d’engager la transition, le Gouvernement actuel a essayé de passer en force sur les gaz et huiles de schiste, a étouffé l’éolien puis le photovoltaïque en multipliant les obstacles et les procédures. Après cette décennie perdue, je souhaite proposer aux Français une politique énergétique nouvelle, sérieuse et ambitieuse. Sérieuse, parce qu’elle garantira à chacun l’accès à une énergie sûre et soutenable sans compromettre l’avenir des générations futures ; ambitieuse, parce qu’avec le génie de nos chercheurs, de nos ingénieurs et de nos ouvriers, elle participera à la relance de notre économie en développant de nouvelles filières prometteuses en emplois et en création de richesses. En alliant sobriété, énergies renouvelables et recherche, nous réussirons.
Loin de ce que voudraient faire croire les tenants du statu quo énergétique, à mode de vie constant, à service énergétique équivalent pour tous les besoins essentiels, non seulement nous pouvons obtenir des gains considérables, mais surtout, la mutation améliorera notre qualité de vie. C’est en privilégiant les énergies sûres et durables, en s’appuyant sur une ambition industrielle forte, que nous assurerons notre indépendance énergétique à long terme. Le grand chantier à échelle nationale et européenne, c’est celui du remaillage des réseaux qui doit suivre cette évolution, étape décisive dans la création de la Communauté Européenne des Energies, coopération renforcée que je propose.
Ce défi de la mutation énergétique exige de la volonté politique et citoyenne. Cette ambition repose sur la conviction que la crise ne sera vaincue que par un saut de civilisation, donc un autre modèle de développement.
Le rythme de sortie et la part du nucléaire dans le mix énergétique demeurent des points conflictuels entre les candidates et candidats à la primaire citoyenne. Comment expliquer la fébrilité de certains après la catastrophe de Fukushima ?
Le débat sur la politique énergétique de notre pays est un débat noble d'intérêt national : il faut aller au fond des choses et éviter la fausse clarté. Aux postures, symboles et autres batailles de calendrier, je préfère des scénarios économiquement raisonnables, écologiquement efficaces et socialement justes.
Il y a deux scénarios possibles : soit on maintient le nucléaire – c’est la position de M. Sarkozy –, soit on sort du nucléaire – c’est ma proposition. Les autres positions – sortie partielle, objectifs limités – ne sont pas crédibles. La plupart des centrales nucléaires françaises arriveront en fin de vie à partir de 2025 : leur avenir devra être décidé dès le prochain quinquennat. Les décisions à court terme dépendent de la clarté de la volonté à long terme : sortie ou non du nucléaire.
Bien entendu, il faudra piloter le rythme de sortie en fonction de la situation : niveau de croissance, fiscalité écologique, industrialisation des énergies renouvelables en France, financement des interconnexions et des infrastructures de transports, etc. Mais une chose est sûre: si l’on ne fixe pas l’objectif de la sortie, on ne lancera jamais les investissements nécessaires pour réduire notre consommation énergétique et pour développer massivement les énergies renouvelables. Bref, rien ne changera. Construire la transition énergétique réclame de faire des choix courageux, qui donneront les orientations pour les trente ans à venir.La spécificité française fait que le nucléaire est à la fois, la part majeure de notre consommation d’électricité, une industrie et des compétences. Je souhaite évidemment valoriser dans le monde entier l’excellence et le savoir-faire des acteurs de notre filière nucléaire française, en réorientant les activités du secteur vers la sécurisation des sites et installations nucléaires, le traitement des déchets, le démantèlement des centrales en fin de vie – 9 réacteurs graphites gaz sont arrêtées depuis plus de 20 ans, et restent à démanteler - et le développement des filières dédiées aux ENR (éolien off-shore, hydrolien, biomasse, géothermie, solaire). Le géant allemand Siemens vient de faire ce choix stratégique, ne nous laissons pas distancer ! Il est temps de faire des choix courageux qui préparent l’avenir. La transition énergétique est inéluctable, il ne serait pas responsable de la reporter et d’en faire porter le poids exclusivement par les générations futures. C’est le sens de mon engagement.