Rapport ANSES sur les nouveaux OGM : comment la France a faussé le vote européen
L'ANSES avait rendu en janvier un rapport sur le projet européen de dérégulation des « nouvelles techniques génomiques » (NTG), qui en réfute les fondements scientifiques. En retardant sa publication d'un mois, le gouvernement français a délibérément empêché le Parlement européen d'en prendre connaissance avant de se prononcer sur ce sujet, ce qui a faussé le vote et bafoué aussi bien la démocratie que l'éthique politique.
Cette rétention est démontrée par les paramètres numériques des documents récemment mis en ligne.
L'Union européenne cherche à exonérer les NTG des procédures de précaution qui s'appliquent depuis plus de 20 ans aux OGM. Pour justifier cette entorse aux règles élémentaires de sécurité sanitaire et de traçabilité, la Commission affirme que ces techniques produisent des plantes « équivalentes à celles qui seraient obtenues par sélection naturelle », et que l'édition génomique serait sûre, précise et sans effets collatéraux.
Cette double affirmation est balayée dans un rapport de l'ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail), qui a été rendu public le 6 mars 2024. Les conclusions des experts de l'ANSES sont un camouflet pour les partisans de la dérégulation :
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une bibliographie scientifique robuste démontre que les techniques d'édition génomique ne sont ni ciblées ni sûres, elles « peuvent entraîner des mutations sur des zones du génome qui n’ont pas été visées, ce qui peut avoir des conséquences pour la toxicité ou la composition nutritionnelle de la plante »,
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des flux de gènes pourraient se produire vers des plantes sauvages,
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de ce fait, l'ANSES souligne que cette dérégulation n'a aucun fondement scientifique et qu'il convient de maintenir une évaluation au cas par cas (et d'y ajouter un suivi strict des plantes autorisées),
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en l'état, le projet de dérégulation fait courir un risque d'accaparement de la ressource génétique par des brevets, ce qui doit être préalablement empêché,
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comme le choix des NTG aurait un impact profond et durable sur les modèles agronomiques et alimentaires, l'agence insiste sur la nécessité de tenir un large débat démocratique éclairé avant toute décision.
Mais au-delà de ce contenu, la date de publication du rapport est en soi une information essentielle car elle est constitutive d'un scandale politique. Des fuites dans le journal Le Monde avaient révélé l'existence de ce rapport alors même qu'il était gardé secret par le ministère de l'agriculture, et à l'initiative d'Agir pour l'Environnement, plusieurs associations et syndicats agricoles avaient engagé fin février une procédure administrative pour en obtenir communication, ce qui a forcé le gouvernement à le rendre enfin public. Dès lors, comment s'assurer qu'il faisait l'objet d'une rétention depuis plus d'un mois ?
En fait, le gouvernement a ajouté l'incompétence à la duplicité. Ceux qui ont ordonné de « faire comme si de rien n'était » semblent méconnaître les caractéristiques des documents numériques. Il suffit de fouiller les paramètres de ces documents pour découvrir qu'ils étaient finalisés dès le 2 février, soit 5 semaines avant leur publication effective. Non seulement le PDF du rapport n'a plus été modifié depuis le 2 février, mais c'est également la date de validation de la photo qui accompagne ledit rapport sur le site de l'ANSES (tandis que sa mise en ligne initiale est datée du 5 février), ce qui confirme que la procédure de publication était initialement engagée le 2 février 2024 et prévue au plus tard le 5.
Or ces dates étaient cruciales : elles devaient permettre d'éclairer le vote des parlementaires européens, qui ont débattu et voté sur le sujet les 6 et 7 février 2024. Plusieurs États-membres de l'Union européenne, et plusieurs groupes politiques au Parlement européen, réclamaient que ce débat parlementaire puisse être nourri par des rapports d'expertise des agences, sinon européenne (ce qui a été refusé arbitrairement par la Commission européenne) du moins nationales. La France avait même affirmé qu'elle verserait les siens au débat – affirmation dont il est maintenant démontré qu'il s'agissait d'un mensonge pur et simple, d'un mensonge froid et cynique.
L'expertise cinglante réalisée par l'ANSES aurait ébranlé les positions de nombreux eurodéputés, et aurait pu changer profondément le résultat du vote. En refusant sa diffusion à temps, puis en la bloquant jusqu'au 6 mars pour essayer de dissimuler son forfait, le gouvernement français a ouvertement manipulé et insulté la démocratie européenne.
Jacques CAPLAT
Coordinateur des campagnes Agriculture et Alimentation