Pacte d'avenir pour la Bretagne : les 7 lacunes d'un pacte sans avenir
Lettre ouverte au Président de la République, de la part de l'association Agir Pour l'Environnement avec le soutien des associations bretonnes de la Coordination marées Vertes et algues Bleues : Sauvegarde du Penthièvre, Sauvegarde du Trégor, AE2D, Sous le Vent les Pieds sur Terre, Baie de Douarnenez Environnement, Association de Sauvegarde du Pays Fouesnantais et l'Eau et la Terre.
Monsieur le Président,
Votre Premier ministre s'apprête à signer vendredi 13 décembre, à Rennes, le « Pacte d'avenir pour la Bretagne », qui inclut un volet en faveur de l'agriculture et de l'agro-alimentaire.
Il est pour le moins étonnant que des mesures destinées à l'agriculture bretonne se retrouvent ainsi engagées avant même l'adoption de la « Loi d'avenir agricole » qui sera examinée par l'Assemblée nationale en janvier. Voilà une singulière innovation : décliner une loi agricole sur le territoire breton... avant même qu'elle soit adoptée et calibrée au niveau national ! Devons-nous en conclure que la « Loi d'avenir agricole » est déjà validée avant même d'être passée devant la représentation nationale ?
Il est vrai que vous étiez présent mardi 3 décembre 2013 pour les 30 ans de l’entreprise Sofiproteol, groupe qui est en situation de quasi-monopole sur le territoire français pour les agro-carburants... et dont le président, Xavier Beulin, est aussi président de la FNSEA, le syndicat qui orchestre la mise en scène des bonnets rouges en Bretagne.
À cette occasion, vous avez déclaré : « C'est mon rôle de rappeler que l'on doit croire dans le progrès ».
Cette étrange coïncidence des calendriers nous conduit à vous rappeler les progrès qu’attendent depuis trop longtemps de nombreuses associations de défense de l’environnement :
- Le premier progrès porté par les philosophes des Lumières est le progrès humain, traduit dans les concepts de solidarité et de fraternité. Or, ce progrès inclut la relation avec les pays les plus pauvres, et suppose de cesser d'entretenir leur pauvreté en évitant d’exporter (lait, viande) et d'importer (soja) des productions qui concurrencent les cultures vivrières locales. Le Pacte d’avenir prévoit pourtant de « soutenir l’export » avec des objectifs pour la Bretagne sensiblement éloignés d’un vrai progrès humain : « investir plus et vendre mieux » !
- Le progrès, c’est la volonté affichée par l’Union Européenne de limiter à 6 % la part des biocarburants destinés au transport, afin d'en limiter les effets pervers sur l'environnement et sur l'économie rurale. Vous vous en démarquez en faisant la promesse de défendre un taux de 7 %. Comme le dit la Commissaire européenne Faustine Defossez, responsable de la politique agricole du Bureau européen de l'environnement (BEE) : « Ce refus de mettre rapidement la politique sur le bon chemin n'est rien d'autre qu'un cadeau à l'industrie des biocarburants ».
- Le progrès, c’est de limiter la méthanisation qui pousse à l'industrialisation de l'élevage (et à la réduction des emplois) et qui nécessite des cultures dédiées (maïs) implantées au détriment des cultures pour les hommes et pour le bétail. Le Pacte d’avenir pour la Bretagne promet une accélération du développement de la méthanisation à base d'effluents d’animaux, avec tous ses effets pervers rétrogrades !
- Le progrès, c’est la prise en compte du « bien commun » avant les intérêts particuliers, ce qui passe par l’amélioration du contrôle de l’autorité administrative pour le respect de l’environnement, en particulier la nécessité d’une enquête publique en cas d’extension d’un élevage. Le Pacte promet de limiter cette obligation !
- Le progrès, c’est d'augmenter la part de l’agriculture biologique dans la SAU totale et de permettre à la France de sortir du groupe des plus mauvais élèves de l’Union Européenne sur ce point. Certes, cette ambition est formellement inscrite dans le Pacte d’avenir : « afin d’atteindre les objectifs du programme national 'Ambition bio2017', il est indispensable de passer à la vitesse supérieure et de considérer le bio comme une filière à part entière et non plus seulement comme une niche, d’autant plus que la demande actuelle en produits bio contraint notre pays à importer. ». Mais les moyens alloués pour réaliser cette « ambition » sont absents du Pacte d'avenir, dont les mesures en faveur de l'exportation agro-alimentaire bas-de-gamme sont à l'exact opposé d'une évolution vers l'agriculture biologique. En outre, votre Ministre de l'agriculture prévoit que le soutien aux agriculteurs biologiques certifiés cesse d'être systématique dans la nouvelle PAC et devienne facultatif, la bio étant ainsi considérée comme une « variable d'ajustement » faisant les frais des limites budgétaires : quelle contradiction flagrante !
- Le progrès, c’est un lien agronomique cohérent entre le nombre des animaux d’élevage et la surface des exploitations (un hectare de prairie pour une vache par exemple). Le Pacte d’avenir pour la Bretagne promet au contraire de « stopper la baisse actuelle des productions animales dans le secteur des viandes », donc de favoriser l'élevage hors-sol, responsable des marées vertes. Ne confondez-vous pas « qualité » (qui impose de réduire le nombre d'animaux, afin de permettre aux éleveurs de vivre de leur métier sans polluer) avec « quantité » ?
- Le progrès, enfin, c'est le respect de la vie animale, loin des excès de cet élevage industriel dont nous sommes aujourd'hui tous les victimes, tant sanitairement qu’économiquement.
Voici les dernières lignes du Pacte : « Aucune ambition ne saurait être conduite pour la filière alimentaire bretonne sans qu’elle ne repose sur la préservation de son territoire et de son environnement. ». Nous vous demandons, monsieur le Président, de prendre avec votre Premier ministre des décisions à la hauteur de cet enjeu historique et de modifier en ce sens le Pacte d’avenir pour la Bretagne et la future loi d’avenir agricole.
Alors, avec vous, nous pourrons croire au progrès.
Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, l'expression de notre très haute considération,
- Pour Agir Pour l'Environnement, Jacques Caplat - Coordinateur des campagnes.
- Pour la Coordination Verte et Bleue, Jean Hascoët.