Loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire : le Conseil constitutionnel tempère les reculs

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Dans son avis rendu jeudi 20 mars 2025, le Conseil constitutionnel a censuré plusieurs dispositions anti-écologiques de la loi d'orientation agricole votée en février par le Parlement, mais a validé sur des motifs étonnants d'autres dispositions tout aussi problématiques.

Un texte qui marque une forte régression environnementale

Tous les 8 à 10 ans, la France adopte une « loi d'orientation agricole » destinée à fixer à moyen terme les objectifs de la politique agricole nationale et ses outils de mise en œuvre. Celle qui avait été mise en chantier en 2023 devait être centrée sur l'urgence du renouvellement des générations, puisque la moitié des agriculteurs partiront en retraite dans moins de 10 ans.

Pourtant, même si cet objectif a été maintenu dans le nom officiel de la « loi d'orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture » adoptée par le Parlement en février 2025, il n'en constitue plus qu'une portion minime et sans ambition.

Cette loi vise désormais avant tout à placer l'agriculture au-dessus des procédures de régulation du bien commun, et à faciliter l'alignement de l'agriculture française sur les exigences écocidaires de l'agro-industrie néolibérale internationale.

Partant d'un projet de loi gouvernemental déjà cynique et dangereux pour l'environnement, les deux chambres du Parlement ont alourdi aussi bien les régressions sociales et écologiques que les cadeaux aux systèmes agricoles les plus industriels, sous la pression conjointe du Sénat et des syndicats agro-industriels (FNSEA et Coordination rurale).

Des reculs évités grâce à la pression associative et constitutionnelle

Sous l'impulsion notamment d'Agir pour l'environnement, une forte mobilisation citoyenne avait réussi au dernier moment à dissuader le Parlement de supprimer du Code rural l'objectif de 21 % d'agriculture biologique en 2030.

La saisie du Conseil constitutionnel a permis de censurer quelques articles scandaleux, réduisant heureusement les reculs portés par cette loi. Dans sa décision du 20 mars 2025, le Conseil a notamment censuré :

  • le principe de « non-régression de la souveraineté alimentaire », car il placerait le pouvoir réglementaire sous la tutelle de décisions législatives, ce qui contreviendrait à la séparation des pouvoirs,
  • l'article qui interdisait à la France d'instaurer des normes allant au-delà des règles européennes : non seulement cette disposition constituerait une infraction à la séparation des pouvoirs (en plaçant le réglementaire sous la tutelle du législatif), mais en outre cela conduirait à un abandon de souveraineté puisque la réglementation agricole serait dans ce cas déléguée de facto à l'Union européenne,
  • plusieurs articles visant à instaurer une « présomption d'innocence » ou une « absence d'intentionnalité » dans plusieurs situations où des agriculteurs dégradent des milieux ou des espèces protégées, car ce présupposé laisserait des instances administratives apprécier l'application de la loi à la place des institutions législatives, et créerait par conséquent une rupture d'égalité devant la loi,
  • la possibilité de construire des bâtiments agricoles près du rivage des « communes insulaires métropolitaines », ainsi que la dérogation à la loi « zéro artificialisation nette » que le Parlement souhaitait accorder aux bâtiments et aménagements agricoles.

Le maintien de régressions et de menaces

Agir pour l'environnement salue ces décisions du Conseil constitutionnel, mais n'est pas dupe de leurs limites.

D'abord, plusieurs d'entre elles pourraient être contournées : il y a fort à parier que le gouvernement cherchera des astuces pour reformuler les articles instaurant une présomption de non-intentionnalité lors de la dégradation d'écosystèmes par des aménagements agricoles, via un cadrage plus précis des cas éligibles à cette mansuétude (ce qui permettrait de dépasser l'objection technique qui fonde la censure des trois articles concernés).

Ensuite, le Conseil a quand même validé plusieurs articles particulièrement problématiques, parfois sous des motifs spécieux (profitant du fait qu'il est impossible de contester une décision du Conseil constitutionnel auprès d'une autre instance juridique : même une énormité de sa part ne peut pas être réfutée officiellement). En particulier, il a validé :

  • les formules faisant de l'agriculture un "intérêt général majeur" et un "intérêt fondamental de la Nation", mais il est vrai qu'il souligne que ces termes emphatiques ne peuvent aucunement placer l'agriculture au-dessus des législations environnementales (car le « droit à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » prévaut),
  • la disposition qui rend désormais très difficile d'interdire en France des pesticides qui restent autorisés à l'échelle européenne (en l'absence de « solutions apportées aux agriculteurs économiquement viables, techniquement efficaces et compatibles avec le développement durable »),
  • le plafonnement à 450 euros des amendes pour manquement aux obligations d'enregistrement ou de déclaration d'installations d'élevage, lorsque le seuil est dépassé de moins de 15 %, au motif que les spécificités de l'élevage le rendent plus susceptible que d'autres activités de parvenir à de tels manquements ; ici la justification du Conseil constitutionnel est surréaliste puisque cette disposition crée par définition une inégalité avec les autres installations classées et représente un montant tellement dérisoire qu'elle en supprime tout effet dissuasif,
  • l'article qui modifie la nomenclature des retenues collinaires (pour l'irrigation) de façon à exempter certaines d'entre elles des procédures vérifiant qu'elles ne dégradent pas la ressource en eau et les écosystèmes aquatiques, au motif particulièrement discutable qu'un changement de cette nomenclature ne constituerait pas une « régression environnementale ».

Enfin, un autre texte sur l'agriculture est encore en discussion au Parlement, qui pourrait réintroduire une partie des points censurés par le Conseil constitutionnel en les reformulant, et qui prévoit surtout des régressions encore plus graves en matière de dérégulation environnementale et de banalisation des pratiques polluantes et de l'élevage industriel : la « proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur », dite PPL Duplomb.

Ce texte, déjà voté par le Sénat, sera discuté par l'Assemblée nationale fin avril selon une procédure accélérée, et pourrait consacrer des reculs ahurissants et gravissimes. Fortement engagés dans la lutte contre cette loi extrêmement préoccupante, nous reviendrons rapidement sur ce sujet.