La grande régression de l'agriculture française
Le 4 décembre 2024, la commission des Affaires économiques du Sénat a adopté une proposition de loi visant à démanteler la plupart des dispositions qui préservent l'environnement dans les pratiques agricoles. Pire qu'une régression, ce texte constitue un véritable sabotage de l'agriculture dans une logique obscurantiste et suicidaire.
Déposé par le sénateur (et ancien président de la Chambre d'agriculture) Laurent Duplomb, ce texte doit encore être discuté en séance plénière avant d'être transmis à l'Assemblée nationale. Son contenu semble irréel tant il caricature ce que l'agriculture industrielle peut imaginer de pire :
- réautorisation des pesticides néonicotinoïdes n'ayant pas encore fait l'objet d'une interdiction européenne globale, tel que l'acétamipride pourtant identifié comme ultra-toxique,
- possibilité donnée au ministre de l'Agriculture de statuer à la place du directeur de l'Agence nationale de sécurité sanitaire et environnementale (ANSES) sur la dangerosité des pesticides,
- réautorisation des promotions sur les pesticides,
- autorisation de la pulvérisation par drone, alors que les expérimentations ont montré qu'elle recèle les mêmes dangers de pollutions massives que les autres pulvérisations aériennes,
- rehaussement des seuils en-deçà desquels un élevage industriel peut s'agrandir sans réaliser d'évaluation environnementale et d'enquête publique (pourtant déjà relevés en juin 2024 !),
- réduction voire suppression de la procédure de consultation du public avant un agrandissement d'élevage,
- soutien à la construction de méga-bassines d'irrigation au profit des agromanagers industriels,
- renforcement du lobby agricole dans les instances de gestion de l'eau,
- réduction des zones humides protégées (par modification des critères d'éligibilité).
Ces propositions rétrogrades sont doublement dramatiques. Elles entraîneraient un saccage accéléré de la biodiversité (pesticides), du climat (élevages industriels) et des ressources (irrigation), constituant ainsi un « bingo » écocidaire rarement atteint dans un simple texte législatif. Elles compromettraient également tous les efforts réalisés par les agriculteurs depuis des années pour transformer leurs pratiques vers l'agroécologie.
En effet, sur le fond, ce texte est une gifle envers tou·te·s les paysan·ne·s qui ont engagé leur ferme dans de nouvelles pratiques : il nie leurs efforts et dévalorise leurs pratiques. Pire encore, ce texte revient à couper la branche sur laquelle l'ensemble des paysan·ne·s sont assis·es. Une agriculture gourmande en pesticides se suicide à petit feu, en détruisant les écosystèmes dont elle dépend à long terme. Une agriculture sous perfusion d'irrigation accroît sa fragilité face au dérèglement climatique, qu'elle nie grossièrement au lieu de s'y adapter. Des élevages de plus en plus concentrationnaires sont à la fois de moins en moins soutenables pour l'opinion publique et de plus en plus dépendants des marchés internationaux, donc des crises agroalimentaires et géopolitiques.
Le calendrier choisi pour voter ces régressions est très clair : en accréditant complaisamment les demandes les plus extrémistes des syndicats agro-industriels de droite et d'extrême-droite (FNSEA, JA et Coordination rurale), cette proposition de loi s'inscrit activement dans la campagne pour les élections des Chambres d'agriculture dont le vote est prévu fin janvier 2025. Elle constitue ouvertement une tentative du Sénat de manipuler les élections professionnelles agricoles en biaisant les débats et en créant une grossière opposition entre agriculture et écologie.
Mais cette proposition de loi n'est pas seulement une forfaiture environnementale. En refusant d'adapter les pratiques agricoles aux nouvelles réalités climatiques et écologiques, elle acculera les paysans dans une impasse et placera l'agriculture française dans une situation d'extrême fragilité et d'extrême danger. Les seuls gagnants seront les actionnaires des multinationales et des groupes agro-industriels (pesticides, engrais, semences, aliments du bétail). Une fois de plus, paysan·ne·s et environnement sont sacrifié·e·s au profit de quelques privilégiés.
La censure du gouvernement Barnier a provisoirement interrompu le processus législatif, mais le Sénat prévoit de relancer l’adoption définitive de ce texte dès que les travaux parlementaires reprendront. Agir pour l’environnement veillera à alerter ses adhérent·e·s le moment venu et à mettre tous les moyens en œuvre pour le combattre.